Le Mur Blanc

                        

 Je me suis toujours demandé quels sont les souvenirs qui traversent l’esprit des personnes âgées, fatiguées, assises près de la cheminée ou devant un mur blanc.

Il m'arrive de faire quelques retours dans le passé et rapidement le calcul du nombre d’années devient une tâche complexe. Tout est allé trop vite dès mon mariage. En s'arrêtant sur cette période passée, je me pose les questions : Qu'ai-je accompli dans mon existence ? Quel héritage laisserai-je à mes enfants ou petits enfants? Dès le commencement de ma vie de jeune mariée, je quittais mon mari pour vivre dans une autre ville en raison de mon travail. C'était une époque, inconnue des générations actuelles où la norme était de travailler 42 heures par semaine, samedi matin compris, deux fois par mois. Nos retrouvailles se faisaient au prix de courses effrénées pour attraper les trains

Il était primordial de ne jamais arriver en retard à la gare. Le chef de service prenait un malin plaisir à organiser une réunion ou à attribuer du travail supplémentaire urgent à l’heure du départ. Je filais en courant pour sauter à bout de souffle, dans le premier wagon du train qui commençait à démarrer. Heureusement la modernisation du matériel était lente et le verrouillage automatique des portes n‘existait pas comme actuellement. Cela se répéta tout au long de cette première année de mariage jusqu'à ce que le premier bébé annonce sa venue.

Ces premiers mois me furent difficiles. Je vivais seule, incertaine quant à la possibilité de rejoindre mon mari rapidement et surtout je me trouvais confrontée à une vie dont j’ignorais tout. Constamment minimisée et manquant de confiance en moi durant la première partie de mon existence, la solitude imposée me terrorisait. Tout d'abord comment se déroule un accouchement et surtout comment m'occuper d'un bébé. Vais-je savoir subvenir à ses besoins ? Sera-t-il heureux? Vais-je savoir le chérir ? Beaucoup de questions sans réponse.

Les mois d'interrogations passèrent rapidement et surtout la possibilité de rejoindre mon mari m'aida à appréhender le futur avec plus de sérénité. Il avait loué un appartement trois pièces pour commencer notre vie de couple. Nous n'avions aucun meuble sauf 2 fauteuils en similicuir gagnés avec des points dans un supermarché. Tous les deux nous nous aventurions vers l'inconnu conscient de notre bonheur. Nous n'avions rien mais tout semblait facile. Tout nous amusait y compris la table fabriquée à partir de morceaux de bois qui se trémoussait en suivant le mouvement du couteau coupant le pain.

Les premières grandes dépenses furent consacrées à l'achat de la chambre de l'enfant qui arrivait et du landau. Mon cœur palpita d’émotion à la vue de la poussette et je m'imaginais entrain de promener mon bébé reproduisant mes rêves de petite fille où je poussais cette voiture à quatre roues protégeant ma poupée des caprices du temps.

Les mois s'écoulèrent sans problèmes jusqu'à l'accouchement. Le bébé ne désirait pas connaître son nouveau monde trop rapidement aussi une césarienne fut prévue. Ce fut la première opération de mon existence.

Je n'étais pas préparée à élever un bébé mais mon mari était présent à chaque étape de notre vie à trois qui se déroulait dans le bonheur en regardant notre enfant s'ouvrir au monde. Cette naissance fut pour moi une véritable déflagration. Les aides financières de l'état pour la garde d'enfant n'existaient pas aussi mon salaire servait à régler le loyer et la nourrice. En un mot je travaillais pour engranger des trimestres en vue de ma retraite.

Peu importe, notre fils fut le catalyseur de mon épanouissement. Fini la fille timide qui n'osait pas demander sa baguette de pain chez le boulanger, fini celle qui ne prenait aucune décision de peur des possibles retombées douloureuses de moqueries ou de punitions. Tel un papillon émergeant de sa chrysalide, je m'envolais vers mon nouveau destin donnant tout l'amour qui m'avait cruellement manqué durant mon enfance.

Deux ans plus tard notre fille fit son entrée dans une ambiance heureuse et son arrivée fut une source de bonheur supplémentaire. Nous habitions Saint-Gaudens où la vie quotidienne était limpide et de temps à autre nous nous retrouvions entre collègues autour d'un bon repas ou lors d’une soirée dansante.

Je revivais cette camaraderie que j'avais connue lors de mes premiers mois de travail quelques années auparavant. Le bureau était comme une deuxième famille Quatre ans s’écoulèrent avant que nos affectations nous envoient à Toulouse. J'avais vécu dans des petites villes aussi la vie dans une grande métropole me propulsa dans un autre monde. Fini la camaraderie qui aide à solutionner les petits soucis tel que trouver une aide maternelle.

Nous ne voulions pas que nos enfants passent leur journée dans une crèche. Pour l’ainé nous avons trouvé une « nounou » prés de la maison cependant pour notre fille dans une grande ville sans connaitre personne, ce fut beaucoup plus difficile. Dès notre changement de résidence un nouveau cycle de vie débuta par l'école maternelle pour s’achever le jour de la première embauche. Chaque rentrée scolaire était un évènement et les années se comptaient au rythme des cahiers achetés. Nous avons traversé cette période sans prendre conscience que les enfants devenaient adultes et que nous, en même temps, nous prenions de l’âge.

Si un souvenir me revient j'ai l'impression que c'était hier, tout simplement hier. L'amour que nous nous sommes donnés m'a permis d'avoir une revanche sur mon enfance et d'être heureuse toutes ces années. Nous continuons notre chemin avec la joie de partager nos instants avec des petits -enfants. La vie est une perpétuelle renaissance, et il faut tout simplement chérir les siens malgré les difficultés qui peuvent surgir.

A présent, tous deux à la retraite, cette transition était planifiée en prévision du changement radical de vie. Nous avons abandonné la course forcée après les heures, organisé notre temps libre, et ne plus rencontrer des inconnus ou des collègues. Il fallu apprendre à vivre à deux d'autant plus que les enfants quittaient le nid.

Notre parcours débuta en créant des associations de quartier qui nous aidèrent à accepter ces bouleversements. Certes on n'élève pas les enfants pour nous, pour les retenir à nos côté mais lorsque le jour du silence s'installe définitivement, une nouvelle vie à deux doit s'organiser et la fuite en avant débute.

Les interrogations surgissent, telles que : Comment vont-ils ? Que font-ils ? Une impression d'abandon et d'inutilité s'installe. L'arrivée de petits enfants redonne quelques années supplémentaires de but ou de projets mais c'est éphémère, une illusion passagère. Nous profitons des instants qui nous sont offerts pour vivre ensemble des moments de leur vie. Nous avons beaucoup de chance d'observer leur évolution et de les accompagner le temps qui nous est accordé vers leur destin.

Ces quelques idées me traversent l’esprit me questionnant sur la capacité des anciens à se remémorer les années écoulées. Peut-être que oui, pour ne pas oublier ou tout simplement pour s’occuper quelques instants en souriant ou en versant quelques larmes. Inutile de partager ces anecdotes moult fois racontées et qui indiffèrent l’entourage. Alors, ils se taisent et se murent dans le silence s’évadant vers le passé lointain face au mur blanc qui brule leurs yeux.

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