Solitude
La douceur du temps, en ce début de janvier, et le soleil invitaient chacun à la promenade.
Nous avons poussé la porte du premier restaurant trouvé
sur notre chemin. L’endroit, à l’allure d’une cantine d’entreprise, proposait ses
plats principaux photographiés sur de grandes affiches. Nous avons
attendu, avec nos plateaux en main devant les cuisines, après avoir sélectionné
et réglé nos choix à la caisse, dans l’espoir que notre numéro soit appelé rapidement
pour récupérer notre repas.
Une longue file de clients majoritairement
vêtus de jeans et de parkas patientaient devant nous, les yeux fixés sur leurs
téléphones. Certaines personnes affichaient un calme serein, alors que d’autres
semblaient agacées et que des enfants hurlaient en se roulant par terre pour
manifester leur mécontentement.
Nous repérons une place, une
fois notre viande cuite, avec la liberté de prendre les légumes à volonté.
Un mur de distributeurs automatiques
de café et autres boissons formait une barrière qui nous protégeait du passage
incessant des poussettes et des gamins turbulents qui se défoulaient dans les
allées.
Une femme âgée arriva, son
sac à main en bandoulière, tenant un plateau, sur lequel reposaient un verre et
une assiette qui contenaient un beefsteak haché. Elle s’installa à une table
proche de la mienne, dans un coin délimité par une cloison alvéolée et décorée
des derniers vestiges de Noël.
À peine arrivée, elle
repartit en laissant son plateau intact et revint avec une seconde portion de
viande qu’elle disposa avec soin devant elle. Puis, méthodiquement, elle
poursuivit ses allers et retours, en rapportant chaque fois une ration débordante
de légumes. Bientôt, frites et haricots verts s’amoncelèrent avec la salade
niçoise, le tout généreusement nappé d’un liquide verdâtre, étiqueté sur le
présentoir sous le nom d’« épinards ».
Ces montagnes d’aliments,
peu appétissantes, n’invitaient pas à la dégustation.
J’observais, intriguée par son
étrange manège. Attendait elle quelqu’un de retardé ?
Mais au lieu de patienter, elle
commença son repas sans hésiter, après avoir généreusement salé sa viande. Elle
l’avala goulument, puis, sans la moindre pause ni la moindre gorgée d’eau, elle
engloutit chaque plat empilé devant elle.
Que faisait-elle ici, seule
face à ce festin disproportionné ? Est ce un rendez-vous manqué ? Une faim
irrépressible ? Ou simplement un instant de solitude comblé par le souvenir
d’un repas à deux ?
Je ne le saurai jamais. Elle
disparut discrètement, laissant derrière elle deux plateaux vides.
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