L'ABSENCE


Vous étiez mes compagnons et vous êtes partis ensemble un soir d’automne, sans bruit, discrètement. Les arbres du parc changeaient leur couleur, le rouge des feuilles se mélangeait au jaune avec de temps à autre une pointe de vert. Certaines se détachaient et voletaient aidées par un vent léger, pour se poser délicatement sur la pelouse comme un papillon. C’était une délicieuse journée ensoleillée.

Il faisait chaud à l’ombre du parasol en lisant sur la terrasse, lorsque l’orage éclata, un orage aussi soudain que violent. Le ciel noir se rayait d’éclairs lumineux, la tension était si forte que les grondements passaient inaperçus. Une pluie torrentielle s’abattit massacrant les arbres et je courus à l’abri pour ne pas être trempée jusqu’aux os. Les gouttes s’écrasant contre les vitres glissaient, présentant une supplique pour les laisser entrer dans la pièce.

Reprenant la lecture dans un profond silence succédant à ce tumulte, de temps en temps interrompu par le crépitement du bois dans la cheminée et l’agitation des flammes dans leur danse, une sensation étrange de solitude se logea dans le cœur obligeant à promener le regard autour de la pièce, j’étais seule devant l’âtre.

Où êtes-vous ? Cherchant dans la maison, ce fut la plus claire des évidences : vous étiez partis sans un mot, sans un adieu.

La soirée passa à scruter l’horizon voulant croire à un éventuel retour de cette longue escapade, mais la nuit sombre et orageuse anéantit les espoirs puis tristement je me couchais, dans un grand lit froid. Au matin, réveillée en sursaut, la situation était inchangée, personne n’était rentré aussi, terrassée par une certitude intuitive que ma vie venait de basculer, il fallait apprendre à vivre seule, à vivre en célibataire.

La première réaction fut de crier dans la maison ces mots : enfin libre. Un sentiment enchanteur, enivrant d’euphorie s’empara de moi et en un instant une joie réelle remplaça la peur de la solitude. S’assoir sur le canapé sans être enveloppée d’un tourbillon mystérieux, errer au gré de ma fantaisie dans la ville sans craindre de vous apercevoir au recoin d’une rue, danser jusqu’au bout de la nuit sans restriction, enfin, vivre pleinement.

Les jours succédèrent aux jours, saison après saison, puis les années défilèrent avec les souvenirs. Vos noms étaient oubliés et depuis bien longtemps personne n’attendait le retour. Je ne me suis pas ennuyée, car les voyages effectués de pays en pays ont permis de connaitre d’autres cieux et différents peuples. J’ai fréquenté, des amants très différents les uns des autres, certains, sinistres ne restaient qu’une paire d’heures et d’autres, plus distrayants, avaient un droit de visite prolongé. Il était amusant de les voir faire une cour assidue espérant s’installer dans ma vie définitivement. L’un d’entre eux arriva un jour avec ses affaires dans un carton offrant régulièrement des fleurs et en signe de son amour expliquant les détours effectués pour les acheter, parfois, nous étions installés si haut dans une salle de spectacles, que le chanteur ressemblait à une fourmi. Un jour, lors d’une invitation dans un restaurant renommé, au moment fatidique de payer l’addition, il constata avec stupeur et en se confondant en excuses l’oubli de son portefeuille. Ce genre de procédé extravagant obligeait l’invitée que j’étais, partagée entre le mépris et le fou rire, à terminer la soirée en réglant la note. Le lendemain, il arriva avec ses fleurs et ce fut une réelle incompréhension de sa part de trouver la maison close, son carton bien posé devant la porte.

J’ai connu des goujats, des bons copains, mais durant tout ce temps je me suis étourdie, bruler ma vie pour oublier et inconsciemment je vous cherchais, vous me manquiez.

Un jour de passage chez le médecin pour une visite de routine, ce dernier fut surpris de constater l’angoisse provoquée par cette solitude et commanda une nouvelle machine dotée d’un véritable pouvoir relaxant et très efficace d’après lui.

Par une journée grise et pluvieuse, la machine électronique portative et compacte fut livrée. Le technicien se dirigea vers le lit, brancha l’engin avec ses tuyaux et masques tout en faisant une démonstration, le posa sur le réveil et quitta la chambre la tête haute, promettant de revenir dans quelques semaines.

Relaxez vous lança-t-il avant de rejoindre sa voiture

La nuit tombée, l’appareil branché, j’espérais dormir paisiblement pelotonnée dans le lit. La lune brillante disparaissait derrière des nuages menaçants et alors qu’un sommeil doux allait m’engloutir, mes rêves revinrent comme par magie.

 Enfin de retour. Ne partez plus, car en votre absence je marchais le long des jours comme un zombi. Mes rêves, que vous soyez beaux, prémonitoires ou effrayants, vous offrez un merveilleux voyage astral.

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