Tout Est Ouvert
L'été se prolongeait en cette fin de septembre, annonçant une douce soirée et Léa, bloquée dans un habituel embouteillage, rêvait d’un peu de fraîcheur après une journée de travail. Sur un fond de musique, elle pensait à cette histoire peu banale qui l’amenait chaque mois dans cette maison cachée dans un écrin de verdure reflétant le calme de l’endroit. Elle songeait aux surprises que la vie réserve, telle que sa rencontre avec cet homme encore charmeur et devant avoir l’âge de son père. Il l’avait accosté lors d’une exposition de peinture devant une œuvre de Picasso et son exposé fut le prétexte pour continuer ensemble la visite. Ses connaissances sur les peintres et leurs oeuvres la captivaient et, si méfiante d’ordinaire, elle accepta naturellement de prolonger leur rencontre au-delà du vernissage. Il lui présenta sa carte en la quittant et lui fit promettre de lui rendre visite à l’adresse indiquée. Depuis ce jour elle venait de temps en temps passer un moment en sa compagnie, car sans doute, subjuguée par son savoir, elle avait sans réfléchir accepté la proposition et c’est ainsi qu’au fil des mois une amitié s’était installée grâce à l’amour de l’art.
Encore dans ses souvenirs, elle gara sa voiture à l’ombre d’un pin parasol. Mais en arrivant au portail du jardin un étrange sentiment l’envahit, comme un pressentiment.
La sonnette tinta deux fois comme d’habitude. Sur le seuil de la porte apparut un homme voûté, chancelant tel un vieillard. Léa étonnée de constater un tel changement depuis leur dernière rencontre, marqua un temps d’hésitation avant d’avancer.
— Entrez ! Tout est ouvert ponctua-t-il d’un large geste de bienvenue.
Elle traversa timidement, sans bruit, comme pour ne pas réveiller un enfant endormi, ce jardin entretenu qui donnait à l'ensemble un air propret. Les effusions d'usage terminées, tout en discutant de banalités, ils se dirigèrent vers son garage transformé depuis longtemps en atelier pour des débutants de la gouache. Cet homme qu’elle ne reconnaissait pas ouvrait la marche d’un pas mal assuré révélant sa fragilité maladive. Devinant son inquiétude il précisa :
— La maison reste maintenant ouverte jour et nuit pour les secours.
La conversation dévia sans préambule sur sa raison de vivre: la peinture. Ce lieu, où régnait un aimable capharnaüm incitait des artistes amateurs à composer et des œuvres disposées sur des chevalets, révélaient les diverses inspirations. Sa main noueuse accompagnée d’intarissables explications, mimait avec précision les arabesques d’un peintre, puis tenait un pinceau imaginaire caressant la toile pour s’arrêtait sur la touche finale. De plus anciens tableaux, héritages de famille, le faisaient voyager dans le temps.
D’une voix adoucie, il raconta les jeux de son enfance réminiscence de moments passés auprès de sa mère peignant dans son atelier de peinture. Léa l’écouta en silence, consciente de l’honneur qu’il lui faisait de se livrer, mais, aujourd’hui elle percevait dans sa voix une inquiétude.
Soudain le cérémonial bien huilé cessa, brisant le charme comme si un fantôme les entraînait vers la maison.
— Rentrons ! Ce soir nous allons trinquer aux années passées.
Il l’invita à s'installer confortablement dans un fauteuil de style Empire, et commença dans la bonne humeur le service de l'apéritif. C’était inhabituel.
Comme une confidence à lui-même, il parla de sa vie quotidienne parsemée de visites à l'hôpital depuis la trahison de son cœur.
— Résultat de ma vie débridée s'esclaffa-t-il.
Les yeux pétillants de joie, d’une simple boutade il bouscula, enchevêtra ses souvenirs pour raconter tout excité ses histoires, agrémentées de quelques pas de danse. Des mots, toujours des mots débités avec rapidité et force détails pour narrer les événements vécus. Les geôles, les guérillas n'avaient plus de secret et les fuites vers d’autres horizons la captivaient oubliant la réalité du temps. Il s'amusait à repenser aux heures qui défilaient au rythme des bouteilles et des rafles de police. Il avait aimé la femme d'un chef d'une tribu pour enfin, finir chassé, abandonné dans une embarcation au milieu des flots tumultueux d’un fleuve. Il riait de ses mésaventures comme un enfant après une bonne blague.
Au détour d’un chemin, le temps resta suspendu et sa course s'arrêta dans les yeux bleus d'une brune de vingt ans sa cadette. Plus besoin de grands espaces. Envoûté, il l'aima sans retenue, devint son esclave chaque jour un peu plus, transformant sa vie au rythme de ses désirs. Matador, il lutta pour garder sa bien-aimée triomphant de tous les combats.
Pourtant un soir la dernière estocade le fit chanceler. Seul au milieu des uniformes blancs le hurlement des sirènes lui fit reprendre ses esprits dans un univers glacial et sans âme. De ce combat imprévu, il en revint affaibli, tel un guerrier fatigué, gagnant péniblement sa dernière bataille. Le corps médical, réservé sur son espérance de vie, lui avait conseillé de se ménager.
Cependant, la vie reprit lentement aidée par quelques décoctions enseignées par un sorcier d'un village africain dont la recette fut extirpée d’un vieux carton oublié au fond de la cave. Cette épreuve l’avait affaibli et son amour, lassé de ses récits endiablés et de ses rêveries insensées, s’éloigna pour rentrer de plus en plus très tard le soir.
Las, il s'affala épuisé, sur son siège, calé par des coussins et se tourna vers la porte vitrée, observatoire indispensable pour épier les mouvements de la rue voisine.
— Je ne dois pas la retenir, elle est entièrement libre, vous comprenez ! Un si bel oiseau ne vit pas en cage.
Il remarqua la lueur des phares d'une voiture, alors il sursauta, se redressa, espéra, puis déçu, se tassa.
— Elle va rentrer, peut-être tard, sûrement au petit matin. Doucement, d’un pas feutré elle montera dans sa chambre me croyant endormi, s'assoupira paisiblement. Enfin revenue prés de moi je serai rassuré précisa-t-il, en se recalant au dossier de son siège, soupirant de bien-être à l’évocation de cet espoir.
La nuit était descendue et le ciel scintillait de milliers de diamants. Dans son fauteuil le vieil homme serein attendait, écoutant l'horloge égrener les minutes et regardait tristement briller une nouvelle étoile dans le firmament.
Le grincement du portillon éveilla son attention.
— Papy, nous voilà ! Tout est ouvert jour et nuit, ce n’est pas raisonnable, tu as de nouveau oublié de t’enfermer.
Deux lutins lui sautèrent au cou, l’étouffant de baisers, avant de commencer le récit de leur journée entremêlé de rires.
Léa s’éclipsa doucement les laissant à leur bonheur en cette fin de soirée.
(Cette nouvelle a obtenu un prix)
Encore dans ses souvenirs, elle gara sa voiture à l’ombre d’un pin parasol. Mais en arrivant au portail du jardin un étrange sentiment l’envahit, comme un pressentiment.
La sonnette tinta deux fois comme d’habitude. Sur le seuil de la porte apparut un homme voûté, chancelant tel un vieillard. Léa étonnée de constater un tel changement depuis leur dernière rencontre, marqua un temps d’hésitation avant d’avancer.
— Entrez ! Tout est ouvert ponctua-t-il d’un large geste de bienvenue.
Elle traversa timidement, sans bruit, comme pour ne pas réveiller un enfant endormi, ce jardin entretenu qui donnait à l'ensemble un air propret. Les effusions d'usage terminées, tout en discutant de banalités, ils se dirigèrent vers son garage transformé depuis longtemps en atelier pour des débutants de la gouache. Cet homme qu’elle ne reconnaissait pas ouvrait la marche d’un pas mal assuré révélant sa fragilité maladive. Devinant son inquiétude il précisa :
— La maison reste maintenant ouverte jour et nuit pour les secours.
La conversation dévia sans préambule sur sa raison de vivre: la peinture. Ce lieu, où régnait un aimable capharnaüm incitait des artistes amateurs à composer et des œuvres disposées sur des chevalets, révélaient les diverses inspirations. Sa main noueuse accompagnée d’intarissables explications, mimait avec précision les arabesques d’un peintre, puis tenait un pinceau imaginaire caressant la toile pour s’arrêtait sur la touche finale. De plus anciens tableaux, héritages de famille, le faisaient voyager dans le temps.
D’une voix adoucie, il raconta les jeux de son enfance réminiscence de moments passés auprès de sa mère peignant dans son atelier de peinture. Léa l’écouta en silence, consciente de l’honneur qu’il lui faisait de se livrer, mais, aujourd’hui elle percevait dans sa voix une inquiétude.
Soudain le cérémonial bien huilé cessa, brisant le charme comme si un fantôme les entraînait vers la maison.
— Rentrons ! Ce soir nous allons trinquer aux années passées.
Il l’invita à s'installer confortablement dans un fauteuil de style Empire, et commença dans la bonne humeur le service de l'apéritif. C’était inhabituel.
Comme une confidence à lui-même, il parla de sa vie quotidienne parsemée de visites à l'hôpital depuis la trahison de son cœur.
— Résultat de ma vie débridée s'esclaffa-t-il.
Les yeux pétillants de joie, d’une simple boutade il bouscula, enchevêtra ses souvenirs pour raconter tout excité ses histoires, agrémentées de quelques pas de danse. Des mots, toujours des mots débités avec rapidité et force détails pour narrer les événements vécus. Les geôles, les guérillas n'avaient plus de secret et les fuites vers d’autres horizons la captivaient oubliant la réalité du temps. Il s'amusait à repenser aux heures qui défilaient au rythme des bouteilles et des rafles de police. Il avait aimé la femme d'un chef d'une tribu pour enfin, finir chassé, abandonné dans une embarcation au milieu des flots tumultueux d’un fleuve. Il riait de ses mésaventures comme un enfant après une bonne blague.
Au détour d’un chemin, le temps resta suspendu et sa course s'arrêta dans les yeux bleus d'une brune de vingt ans sa cadette. Plus besoin de grands espaces. Envoûté, il l'aima sans retenue, devint son esclave chaque jour un peu plus, transformant sa vie au rythme de ses désirs. Matador, il lutta pour garder sa bien-aimée triomphant de tous les combats.
Pourtant un soir la dernière estocade le fit chanceler. Seul au milieu des uniformes blancs le hurlement des sirènes lui fit reprendre ses esprits dans un univers glacial et sans âme. De ce combat imprévu, il en revint affaibli, tel un guerrier fatigué, gagnant péniblement sa dernière bataille. Le corps médical, réservé sur son espérance de vie, lui avait conseillé de se ménager.
Cependant, la vie reprit lentement aidée par quelques décoctions enseignées par un sorcier d'un village africain dont la recette fut extirpée d’un vieux carton oublié au fond de la cave. Cette épreuve l’avait affaibli et son amour, lassé de ses récits endiablés et de ses rêveries insensées, s’éloigna pour rentrer de plus en plus très tard le soir.
Las, il s'affala épuisé, sur son siège, calé par des coussins et se tourna vers la porte vitrée, observatoire indispensable pour épier les mouvements de la rue voisine.
— Je ne dois pas la retenir, elle est entièrement libre, vous comprenez ! Un si bel oiseau ne vit pas en cage.
Il remarqua la lueur des phares d'une voiture, alors il sursauta, se redressa, espéra, puis déçu, se tassa.
— Elle va rentrer, peut-être tard, sûrement au petit matin. Doucement, d’un pas feutré elle montera dans sa chambre me croyant endormi, s'assoupira paisiblement. Enfin revenue prés de moi je serai rassuré précisa-t-il, en se recalant au dossier de son siège, soupirant de bien-être à l’évocation de cet espoir.
La nuit était descendue et le ciel scintillait de milliers de diamants. Dans son fauteuil le vieil homme serein attendait, écoutant l'horloge égrener les minutes et regardait tristement briller une nouvelle étoile dans le firmament.
Le grincement du portillon éveilla son attention.
— Papy, nous voilà ! Tout est ouvert jour et nuit, ce n’est pas raisonnable, tu as de nouveau oublié de t’enfermer.
Deux lutins lui sautèrent au cou, l’étouffant de baisers, avant de commencer le récit de leur journée entremêlé de rires.
Léa s’éclipsa doucement les laissant à leur bonheur en cette fin de soirée.
(Cette nouvelle a obtenu un prix)
Commentaires
J'ai parcourue votre blog et je l'ai trouvé très intéressant, c'est pourquoi j'ai crée un lien à partir de mon blog (Les histoires de Juliette les-histoires-de-juliette.blogspot.com) que je vous invite à découvrir.
Cordialment,
Bénon Juliette.