Sommeil

 

Il est minuit et j’entends dire cette phrase souvent prononcée: « je n’ai pas sommeil ». Chacun de nous ayant pour s’endormir un rituel bien différent les uns des autres. Papa se cale sur le dos, mon petit frère s’allonge sur le côté en « chien de fusil » bien serré dans ses bras, l’oreiller en guise de « nounours », et maman se couche à plat ventre, le nez écrasé sur le traversin.

Parfois dans la nuit je m’amuse à écouter le concert offert par ces dormeurs. Papa imite le départ d’un train en gonflant ses joues tel un ballon de baudruche. François annonce le service du matin en sifflant comme la bouilloire posée sur le feu, enfin maman soupire à fendre l’âme, laissant échapper des rêves désespérés. Quant à moi, chaque soir, je m’installe confortablement sur mon petit nuage blanc pour une nuit de repos.

Oh !, non, ce n’est pas un nuage identique à ceux observés dans le ciel. Celui-ci est exceptionnellement beau avec sa ouate en forme de boule de chantilly, plus douce qu’un Chamallow. De temps en temps, il devient bleu lorsque la nuit est profonde ou il scintille comme de l’or en se rapprochant des étoiles.

Pour y accéder, j’utilise une échelle qui ne ressemble à aucune autre. Pour mon troisième anniversaire, mes amis de la forêt m’offrirent ce cadeau aussi grand que moi, en me disant :

– Chaque fois que tu voudras rêver, grimpe te réfugier sur ton nuage.

L’échelle confectionnée en mousse épaisse bien verte, recouverte de fleurs multicolores aux arômes enivrants, est composée de trois barreaux. Elle est plus petite que celle des pompiers. Pour oublier ma journée, je saute les pieds joints sur le premier barreau. Sur le deuxième, j’admire les fleurs, et avec le troisième je roule sur mon nuage. C’est aussi simple que cela.

Ma cabriole se termine dans un grand lit douillet comme il n’en existe nulle part ailleurs. Le dossier et les traverses sont composés de fruits, le matelas est constitué de biscuits et les draps sont tissés en cheveux d’ange un peu caramélisés. Mes pirouettes s’achèvent en éclats de rire et chaque soir, j’en profite pour croquer quelques fruits au passage. Je les aime tous, mais je clôture toujours en mangeant mon favori : la banane. Ils sont délicieux et très mûrs, contrairement à ceux que maman achète chez le marchand. Si je deviens trop gourmande, mon petit nuage me ramène à la raison gentiment, car il ne veut pas que je sois malade durant notre voyage.

J’ai failli oublier de préciser que le sommier est confectionné en bonbons de formes, de couleurs et de dimensions diverses. Cependant, je m’abstiens d’en manger de peur de trouer le nuage et de retomber sur la terre comme un gros caillou.

Enfin, ma couverture tissée en feuilles de nénuphar est retenue autour du lit grâce à de grands chewing-gums.

Chaque soir, c’est un vrai bonheur de monter là-haut, même si le marchand de sable arrive avec son sac rempli de petits grains de poussière qui me piquent les yeux. Nous nous envolons aussitôt vers le pays enchanté.

Destination vers le royaume du roi câlin, où le temps est radieux. Dans son palais en pain d’épice, la princesse Liberty vit avec son frère, le prince, qui répond au prénom : Rire. Il s’appelle ainsi, car il rit en permanence, joue avec tous les animaux de la forêt et aime parcourir les prairies en fleurs à dos de son étalon blanc, en cavalier émérite lors de courses endiablées avec les cerfs. Il a vraiment fière allure.

Dans le parc, de-ci de-là, des pigeonniers en praline abritent tous les oiseaux venant se reposer. C’est le pays des enfants heureux qui s’amusent toute la journée avec des ballons, des trains, des cordes à sauter, qui jouent à cache-cache où ils se baignent dans un lac d’un bleu pur. J’ai essayé souvent de me joindre à eux, mais dès que je bouge, ils disparaissent, sans doute par timidité. Chaque nuit, le roi en costume d’apparat organise un grand bal et la princesse radieuse, accompagnée de son frère, danse au rythme du chant des oiseaux. Ses somptueuses robes longues, en dentelles de sucre, tournoient et ondulent en cadence. Son diadème scintillant de diamants illumine ses yeux d’un bleu rappelant la couleur du bonheur.

Le prince vêtu dans un costume de soie danse en effectuant quelques pitreries qui amusent tout le monde. Je ris également et adresse des petits signes cordiaux, mais il ne me remarque pas. Demain, peut-être.

Une nuit, je décidais de me pencher au bord du nuage pour m’approcher de mes amis. Je déséquilibrais alors ma couche et provoquais une telle secousse que mon cri de surprise résonna jusqu’au cœur du palais, causant immédiatement un vent de panique. Tous mes copains inquiets disparurent en un éclair et le prince alla s’abriter dans le bois.

C’est peut-être cette nuit-là que le prince me découvrit, car le lendemain matin, il m’attendait en bas de l’échelle. Sans doute ensommeillée, je ne remarquais pas son cheval blanc, mais il me prit la main et nous poursuivons depuis ce jour le chemin ensemble.

A l’heure actuelle, devenue grand-mère, je grimpe régulièrement sur mon petit nuage, plus péniblement en raison de quelques douleurs, mais toujours heureuse de retrouver mes rêves.

De temps en temps, lorsque je me sens trop fatiguée, l’échelle remonte automatiquement dès que mes pieds touchent le premier barreau, et je m’étends dans mes draps en cheveux d’ange légèrement caramélisés. Par moment, grelottant de froid, le soleil dépose ses rayons sur la couverture pour me réchauffer.

Les bonbons et les fruits sont encore présents, mais j’évite d’effectuer des roulades extravagantes en arrivant. Le marchand de sable me rend toujours visite et nous discutons durant de longues heures de nos souvenirs et nous rions parfois toute la nuit. Puis mon petit nuage me transporte vers d’autres royaumes différents chaque nuit.

Avant que sonne le réveil, je survole les montagnes aux neiges éternelles, les rivières qui serpentent à travers les prés où les vaches, debout en signe de beau temps, se reposent, les déserts écrasés par la chaleur et les villes encombrées de voitures aussi petites que des fourmis. Enfin, je termine mon voyage en embrassant mes trois petites filles endormies même si je dois traverser l’océan et affronter les orages et les tempêtes.

Voilà l’histoire de mon fidèle nuage qui m’accompagne partout dans le monde. Comme moi, trouvez votre compagnon de rêves, votre confident pour vous délasser.

Bonne nuit à tous.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Adieu

Rencontre sur la plage

De Partout et De Nulle part - mon livre maintenant disponible